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L’espace de diaspora comme espace de fiction actif. L’évolution d’une conscience de la dispersion en France depuis les années 1965. Le cas de la diaspora arménienne

M. Hovanessian (CNRS-URMIS Paris-VII)

Martine Hovanessian

hovanessian@univ-paris-diderot.fr

Directrice de Recherche au CNRS


 

I. Le cadre théorique

Nous avons développé dans nos recherches, un travail de réflexion sur le concept de  diaspora en tant que nouvelle catégorie de l’altérité[1]. Le projet d’existence de la diaspora arménienne nous a conduit à distinguer plusieurs temporalités dans l’élaboration d’une pensée de la diaspora et de sa reconnaissance. De l’analyse des modes de structuration du champ communautaire à l’évocation d’un principe de refondation d’un soi collectif dans la dispersion, nous en sommes venus à évoquer l’évolution d’une conscience de la dispersion depuis les années 1920 jusqu’à nos jours.[2]

La notion de diaspora se distingue du concept de communauté transnationale. On ne peut limiter le phénomène des diasporas par la formation de réseaux économiques transnationaux, c’est-à-dire par une analyse et une perspective qui attribuent au réseau migratoire une raison d’être uniquement stratégique à travers l’acquisition et la mobilisation de ressources dans des espaces politiques élargis même si  la théorie des réseaux transcende les barrières étatico-nationales .

La perspective « diaspora et lien social » nous a amené à affiner l’analyse des logiques internes. Ces logiques nous ont permis de percevoir dans le temps long de l’exil, un mouvement identitaire se proposant d’établir des connexions entre un passé, un présent et l’anticipation d’un futur à travers l’utopique visée de rétablir une continuité de mémoire, de donner à lire une ancienne condition politique et nationale toujours « en suspens », de rendre visible et traduisible la condition de l’exil massif et extrême des années 1920-1930 venant arrêter brutalement un mouvement d’émancipation nationale repérable dès la fin du XIXe siècle dans l’Empire ottoman .

Cette perspective devait se croiser avec des modes de légitimation de la recherche en sciences sociales qui attribuent sans ambiguïté un statut de diaspora à certains groupes, tandis qu’elle oscille pour d’autres entre la qualification de vraies diasporas, de « diasporas dormantes », ou « en train de se faire »[3]. On constate un emploi souvent diffus du terme et des effets de style. Ainsi, comme le précisait W. Safran (1988), les “ communautés diasporiques ” sont de plus en plus utilisées comme métaphores pour désigner pêle-mêle, les catégories d’expatriés, d’exilés, de réfugiés, d’étrangers, d’immigrés et même de groupes ethno raciaux minoritaires. Beaucoup enfin, s’accordent pour reconnaître la difficulté d’une définition “ qui réussisse à tracer une ligne nette entre migration et diaspora, entre minorité et diaspora ” (G. Chaliand, J-P. Rageau, 1991). Mais comme le mentionnait R. Fossaert (1989), les diasporas n’ont pas de formule éternelle et leur mérite théorique réside dans une plasticité ne favorisant pas “ l’invention d’une histoire univoque ”.

Dans cette orientation, mes travaux ont voulu  contribuer à poser les bases d’un travail comparatif. Il a été  largement amorcé avec l’organisation d’un colloque international à Athènes suivie d’une publication récente[4],  et d’autres participations à différents colloques internationaux et séminaires (comparaison avec la diaspora juive et palestinienne)[5].

En considérant les diasporas comme des constructions qui articulent des temporalités et non comme des catégories figées, nous avons voulu cerner des processus sociaux complexes comme autant de formes sémantiques culturelles et politiques afin de dégager des éléments structurels et d’échapper aux dérives du travail comparatif risquant de glisser vers une perspective ethnicisante des diasporas ou de procéder à une hiérarchisation des diasporas. Nous avons dégagé des principes organisateurs des diasporas à travers des transferts culturels et de la violence politique précédant ces formations, impulsant des figures inédites entre les identités et les identifications nationales, entre les formes d’intériorisation identitaires et les manières d’être appréhendé par l’autre malgré des citoyennetés confirmées. À partir de cet écart, s’élabore la possibilité d’invention de « lieux exo-topiques » (au-delà des lieux habituels) et de « lieux u-topiques » (à construire quelque part) pour reprendre les catégories énoncées par G. Balandier.

Une nature extraterritoriale des expressions identitaires est présente dans grand nombre de travaux sur les diasporas. Elle renvoie à la question d’une possibilité d’une identification collective sans territorialisation, en y ajoutant la dimension supplémentaire d’arrachement, de contrainte, de violences des Etats  fabriquant dans une sorte de défi des liens sociaux  dans la dispersion et qui contournent les logiques de territorialisation du politique.

À travers le cas arménien qui peut s’étendre à d’autres minorités, la question d’un imaginaire national de l’inabouti ou de l’inachevé, suite à des attentes nationales en attente de résolution politique ont engendré dans la dispersion, des langages de la répétition, des utopies nationales, de nouvelles formulations territoriales et d’appartenance, de nouvelles conceptions du lien religieux autour du lien nation et religion[6].

II.  Les moments politiques de l’éveil à une conscience nationale dans la dispersion

Dans cette communication, nous examinerons de manière chronologique, divers moments politiques qui ont contribué à susciter en France, la réactivation d’un éveil à une conscience nationale inaboutie. Cette conscience nationale inaboutie sera progressivement traduite comme la cause même du phénomène migratoire de grande ampleur, que certains chercheurs ont nommé la formation de la « Grande Diaspora du XXe siècle »[7].

De manière dialectique, nous voudrions démontrer que l’éveil à une conscience nationale inaboutie a provoqué certaines manifestations et revendications portées par des leaders de la cause. Cet éveil prend place dans un long processus de logique du déni. En quelque sorte, de cette deuxième hypothèse ressort l’idée d’un travail générationnel, d’une sortie progressive du poids du traumatisme écrasant lié à l’événement catastrophique de 1915 dans la durée de l’exil et qui favorisera du côté des représentants politiques et des cadres sociaux de la mémoire, de nouvelles formulations de l’imaginaire national.

Le nerkaght de 1946-1948 : la tentation du retour

Le mouvement de retour ou nerkaght reste un événement majeur de l’histoire migratoire contemporaine des Arméniens et concerne après la seconde guerre mondiale plus de 100 000 individus issus de tous les pays de la diaspora.

Les historiennes Claire Mouradian et Anaïd Ter-Minassian donnent un bon aperçu général de la question[8] en insistant sur l’importance des propagandistes communistes arméniens de l’époque encourageant le retour des rapatriés vers la « Mère patrie ». Ainsi, dans les années d’après-guerre en France,, on assiste à une défense de la soviétisation de l’Arménie exercée par une mouvance communiste reconnue par le Parti communiste français, le HOG[9] (Hayastani Oknoutian Gomidé, Comité d’Aide à l’Arménie).Outre les délégués officiels de la RSSA et les communistes, les représentants de partis arméniens[10] soutiendront cette campagne du rapatriement qui en même temps exacerbe le sentiment patriotique (Hayabahbanoum) et promet de mettre fin à la condition d’exilée et de l’apatridie.

De nos témoignages recueillis auprès « d’une seconde génération » née en France[11], ressort l’aspect imprévisible de l’événement qui déclenche une sorte d’effervescence collective car un projet tangible succède au débat politique traditionnel nourri de mythes, de lamentations, de désillusion­nement après le couperet de 1915. L’espoir du retour suscite des remous internes, des déci­sions de départ, des collectes d’argent, des relents incroyables de patriotisme chez une génération qui avait malgré tout amorcé en France un processus de remontée sociale progressive.

Le « Nerkaght » ou retour, reçoit la bénédiction de l’Église, et de la classe aisée arménienne, regroupée autour du Parti ramgavar et de l’UGAB (Union générale de bienfaisance) : « Ils participent même au financement de l’immigration, tout en se réservant le droit de ne pas partir, afin de continuer à soutenir matériellement l’Arménie. Les sociaux-démocrates du Parti hentchak, les communistes mettent davantage l’accent sur les réalisations socio-économiques de l’URSS » [i][12]. Les dachnaks, quant à eux, anti-soviétiques notoires, sont cependant séduits par l’argumentation territorialiste. L’efficacité agissante du « mythe du retour », réactualisé dans les consciences à cette occasion, provoque des départs précipités Or, le désenchantement suivra vite cet engouement collectif : « Nous savions déjà, au moment où le deuxième bateau quittait Marseille, peu de temps après le premier, que la vie là-bas était très dure et qu’on nous avait menti ». Près de la moitié de ces émigrés revenus en France après la mort de Staline et jusqu’en 1965, offrira à l’ensemble de la communauté diasporique des récits sombres sur les formes de corruption des rapports sociaux en URSS. L’arrêt du rapatriement en 1947 ravivera en diaspora les attitudes de replis sur soi, et la lutte des deux clans, entre les partisans de l’Arménie soviétique et ses opposants. Cet événement scinde de manière dichotomique les communautés dispersées. Cette fois, les dissensions politiques se cristallisent et influent sur le relâchement des solidarités relatives aux projets culturels. Ces phénomènes de tensions créent de nouveaux rivalités entre dachnak ou communiste.

Paradoxalement, il semblerait que les marquages politiques épargnent, malgré tout, un système de relations où les valeurs de la sociabilité sont fondamentales et très intenses dans ces années d’après-guerre.

Cet épisode du retour est riche d’enseignement concernant le rapport à un imaginaire national pétri de références à la patrie perdue, l’Arménie soviétique, dernier bastion d’un territoire national et ancestral (le concept d’Arménie historique) perçu comme démantelé, gommé de la cartographie suite au génocide de 1915 et suivi de la montée du kémalisme en Turquie. Après la signature du Traité de Lausanne (1923) en effet qui révise le traité de Sèvres et reconnaît la Turquie moderne, l’aide aux Arméniens devient exclusivement humanitaire. Désormais, cette minorité se transforme en une communauté apatride c’est -à -dire formée d’hommes privés de citoyenneté, et donc du droit de retour dans leur société d’origine[13] et empruntent les chemins de l’exil.

Le Nerkhaght ainsi que les filiations politiques à tel où tel parti arménien susceptible de garantir la sauvegarde de la patrie, témoignent de formes d’enfermement dans un passé national où demeure prégnant la rupture radicale, le sentiment de la spoliation (génocide, déterritorialisation, apatridie), le traumatisme de l’exil précédé de la destruction. En même temps s’ajoute une représentation collective d’une dispersion comme accident de l’histoire, non intégrée comme une condition de la longue durée.

1965 ou la transformation d’une réalité migratoire en une condition de minoritaire

Les années 1965-1970 constituent un tournant décisif dans l’éveil d’une conscience et d’une « idéologie diasporique ». En effet, la commémoration du cinquantième anniversaire du génocide se déroule de manière inhabi­tuelle : slogans politiques pour la reconnaissance officielle du génocide par les autorités turques et revendications territoriales scandent la journée commémorative du 24 avril 1965, véritable manifestation où environ 10 000 Arméniens défilèrent Champs-Élysées. « Les familles arméniennes se sont retrouvées dans un formidable élan fraternel, après avoir reconstruit leurs foyers » expliquait-on. Cet événement devint un nouveau trait d’union entre les communautés qui se mobilisent massivement dans le monde, y compris en Arménie ex-soviétique. Il servira de référence collective dans l’histoire de l’exil.

Cette date demeure très importante puisque pour la première fois, les Arméniens de la diaspora et d’Arménie ont formulé des revendications territoriales, un désir d’unité nationale  et un droit à la mémoire.

Les militants élargissent le terrain de la contestation en critiquant l’insuffisance des partis traditionnels à produire une conjugaison efficace et riche entre les traditions politiques arméniennes, la réalité politique française et les cultures minoritaires qui font irruption dans la culture française. Contrairement à une deuxième génération imprégnée de légendaire national, on assiste à des formulations géopolitiques mentionnées dans une nouvelle presse[14], conduisant à reconsidérer l’espace de la grande dispersion dans le rapport entre centre et périphérie et dans une conscience de la reconquête.

Dans la continuité de cette idéologie d’un retour opposée au passé érigé en “monument identificatoire”, on constate également de nouvelles attentes à l’égard de l’Eglise apostolique : un désir de reprise de son ancien rôle de “rassembleur”à la fois spirituel et social de la communauté “; une implication plus grande dans le débat politique.

L’espace de la diaspora et des “communautés, diasporiques” renvoient dès lors à des significations qui dépassent leur utilisation comme métaphores pour désigner pêle-mêle, ainsi que le mentionnait William Safran en 1988[15], les catégories d’expatriés, d’exilés, de réfugiés, d’étrangers, d’immigrés. L’idée de diaspora prend alors un sens dans des logiques de minoritaires

D’un simple changement lexical pour désigner une vie hors du territoire national, on notera progressivement l’émergence “d’un droit à la mémoire”, élaborée par toute une catégorie d’intermédiaires, intellectuels et hommes politiques dans les années 1970 en France, tentant à partir d’une position de minoritaire d’interpréter et d’envisager l’avenir politique de la diaspora arménienne dans une perspective militante et qui a donné lieu à de multiples mouvances[16].

Cette perspective s’inscrivait aussi dans un contexte d’apparition de politiques de minoritaire en France qui va se développer par la suite . Selon Michel de Certeau qui se situait du point de vue des acteurs du « minoritaire », on pouvait déceler des formes de résistance, «des politiques des diasporas » capables de déjouer la contrainte qui impose une alternative entre l’assimilation et le retour au pays d’origine et qui loge l’expérience collective elle-même dans le vide d’un « entre-deux ».[17] Se situant dans une perspective de défense du groupe étranger, immigré ou minoritaire, de Certeau revient sur le politique, du côté de la rencontre interethnique et de la « politisation » de l’appartenance, celle des luttes menées et qui remettent en cause l’obsession de l’unité de la référence nationale discutée par tant d’autres par la suite (Gérard Noiriel,1988, 1991, 2001). Henri Giordan[18]montre bien qu’en France par exemple, le minoritaire avait dû accepter les lois politiques et culturelles pour s’intégrer dans les valeurs démocratiques, ce que certains chercheurs vont examiner sous l’angle du nationalisme « dans l’exact recouvrement de l’identité nationale de la communauté culturelle avec la citoyenneté politique de la communauté institutionnelle »[19]

Disons que la date de 1965 conjuguera à la fois des logiques internes d’apparition d’un retour du refoulé et d’une conscience de la dispersion du point des acteurs de la communauté et des causes extérieures. Du point de vue des logiques internes, elles sont à mettre totalement en correspondance avec une question nationale marquée par le déni (la non-reconnaissance par l’Etat turc du génocide de 1915) et par là même du gommage des circonstances qui pourraient conférer une historicité à la condition de dispersion de grande ampleur et réparer ainsi l’histoire.

Ce retour du refoulé va se fortifier au contact des « politiques de minoritaire » autorisant un espace d’existence.

La gestion de la diversité par l’Etat largement traitée depuis, ne constituait pas seulement l’originalité des positions de Michel de Certeau . Son grand mérite était  de poser deux niveaux de référence, l’appartenance et la citoyenneté, qui ne fonctionnent pas sur le même registre et qui reconsidèrent l’existence du groupe ethnique ou des collectivités  minoritaires. S’interposant contre « une ethnicisation du politique » dont il mesure sans cesse le danger, Michel de Certeau proposait l’autonomisation de la sphère politique sur la base d’une distinction entre réalité socioculturelle et « actions ou représentations politiques ». Il introduit en ce sens des logiques de minoritaire pour désigner un rapport de forces et des alliances politiques possibles entre minorités différentes. Son idée d’une association entre « Algériens et Bretons et Basques même combat », slogan décrié et critiqué, introduit une perspective intéressante de la légitimité du « collectif » à travers la situation de minorisée tout en maintenant la vigilance sur l’instrumentalisation par le pouvoir de spécificités socioculturelles au « cas » par cas ».

L’apparition d’un terrorisme arménien sur la scène internationale

 

La montée du terrorisme, dans les années 1975, sorte de violence exacer­bée, échappant à la rationalité, a fait ressurgir dans les consciences le mythe du héros combattant dévoué à la patrie (le fedaï). Cette violence extrême et non canalisée a réactivé une mémoire de la catastrophe et plus précisément les relations de cause à effet, entre le souvenir d’une destruction et l’impuissance politique de cette minorité à réaliser son rêve d’unité et d’union au sein d’un Etat Nation.

Ce terrorisme du désespoir a par sa brutalité, surpris la communauté, l’amenant à se justifier d’actes aussi irresponsables. Mais, parallèlement, il a provoqué une sorte d’éveil à la réalité démantelée des Arméniens, les conduisant malgré eux à délimiter leurs frontières d’appartenance. Peut-on être Arménien hors d’un territoire ancestral, hors d’une langue, hors d’une nation ? De même, peut-on être Arménien en diaspora et sous quelles formes ?… Peut-on être Arménien, si l’on n’adhère plus autant aux valeurs ethnico-religieuses, long­temps garantes de la cohésion du peuple, si l’on récuse le pouvoir et le contrôle de l’Église dans la vie communautaire, et de manière encore plus large, si l’on doute de l’efficacité des instances traditionnelles, et de leur plate-forme idéolo­gique ? Peut-on simplement nourrir une tradition par l’exégèse ? Comment alors transgresser cette attitude ?

Des interviews s de leaders ou de jeunes intellectuels avaient insisté sur le fait que le dynamisme culturel récent était concomitant avec l’émergence d’une lutte armée. « Le rôle de cette avant-garde, c’était, en fait, de créer une situation dynamique chez les Arméniens sur le plan internatio­nal, aussi bien diplomatique que dans les médias. Le sens critique n’est pas apparu tout de suite. En fait, ce qui existait d’essentiel dans leurs raisons d’agir, c’était de susciter un éveil critique chez les Arméniens. Et des milliers d’Arméniens sont descendus dans la rue du jour au lendemain. Je ne parle pas de ceux qui sont par nature trop classiques, trop académiques, trop effrayés d’être assimilé à des terroristes ou des gangsters. Ceux-là ont dit non tout de suite à l’A.S.A.L.A. ou ceux qui se sentent paternés par l’Union Soviétique. Mais les autres, avec un assenti­ment complet, ont dit oui à un sauveur. C’est cette situation qui m’a gêné. L’A.S.A.L.A. a frappé n’importe où, dans des situations qui ont entraîné un discré­dit notable vis-à-vis des Armé­niens en général » .

Ce terrorisme aveugle a été soutenu, pour le retour d’un question­nement sur la relance du destin arménien et les conséquences irréparables du génocide [20],

De multiples comporte­ments relatifs au choix individuel d’appartenance, sont alors apparus.   Celui aussi d’un militantisme dans de nouveaux espaces politiques afin de se soustraire à l’idéologie du passé ainsi que des interrogations concernant la mémoire de la survivance et le statut du survivant ainsi que le rapportait un témoin lors de nos enquêtes : « L’enjeu, il dépasse les Arméniens. Il y a des gens qui sentent la nécessité de sortir d’une répétition, d’un simulacre, de renouer avec une mémoire. Pour qu’une communauté vive, il faut qu’elle se rencontre, et des vraies rencontres. Tout ce qui est de l’ordre du cérémo­nial, du répétitif, du simulacre… et de l’expiation… Ce qui fait  l’honneur du survivant, c’est justement d’être survivant et de sortir de ce rapport… Il y a un moyen de trouver un autre rapport au temps et à l’espace [21] ».

La décade du terrorisme arménien (1975-1985) a suscité chez les intellectuels un cor­tège de questions, pour esquis­ser les tendances de l’avenir : « Les événements, à savoir l’émergence de la violence ont-ils laissé des traces dans la conscience individuelle et collective des communautés arméno diasporiques ? Mais de quelles violences parle-t-on ? Violences des actions armées ? Violences de l’assimilation, de l’intégration ? Violences de soi, violences des autres ? Violences qui se répondent, qui s’ignorent ? »[22] .

La presse française a traité du terrorisme « comme une solution du désespoir » d’une minorité, qui fait désormais craindre « qu’une poignée d’individus décidés décident du destin des Arméniens », par ailleurs pleinement intégrés au pays. Dans ce climat de drame, des journaux retracent rapidement l’origine historique de la diaspora en France, et rendent enfin visibles les organisations existantes[23]. Sur la scène parisienne, des micros organisations politiques, très minoritaires, comme les « indépendantistes » , empruntent au Parti dachnak certains de ses thèmes : indépendance de l’Arménie, récu­pération et réunification des territoires et créent des comités de soutien.

Ces porte-parole de la jeunesse en diaspora évoquent la perspective d’un combat mené au nom d’idéaux par une pratique militante : « Le slogan de l’indépendance déployé par les Dachnaks ne constitue pas à lui seul une pratique », nous rapportait un témoin, née en 1960 et issue pourtant d’une commu­nauté politique et familiale dachnak. Ce militantisme préconise une prise en compte du contexte géopolitique des Arméniens : « Il faut s’ouvrir à d’autres peuples et élargir le patrimoine politique… en évitant comme les Dachnaks l’emprisonnement du passé ». Ces organisations constituées pour beaucoup en association loi 1901, n’ont pas visé la représentativité communautaire : « L’important était la formation d’une base sociale, de cadres militants capables de réflexion politique sur la cause armé­nienne ; de construire un langage spécifique à la question nationale ». Les recrues furent souvent d’anciens militants désirant après le terrorisme « prendre un certain recul » par rapport aux querelles partisanes, au sectarisme ambiant des partis. Ils évoquent les nouveaux espaces politiques comme un lieu de rencontre, de débat entre des individus partageant une commune sensi­bilité sur le contexte politique international. Par contre, les Dachnaks auraient selon eux conforté la réalité diasporique en multipliant leurs associations satellites, et se seraient détournés de leur idéal initial en acceptant comme situation de fait la réalité de la dispersion.

Les nouvelles sensibilités politiques prônent un politique unifiant afin que, « d’identités différentes et juxtaposées dans la succession de leurs manifesta­tions et de leurs expressions, elles deviennent par la politique des manifestations et des expressions d’une même identité » [ii]. La présence idéologique de cette minorité d’individus a été très importante lors de ses années, même sans statut reconnu, mais leur élaboration de contre-modèles idéologiques a été capitale . Elles encourageaient en effet, à traiter de la question arménienne sur la base d’une matu­rité des consciences historiques en reconsidérant la réalité de la dispersion . Pour les uns, la diaspora constitue l’étape provisoire d’un exil inachevé et ne doit en aucun cas susciter tant de passions ; en reprochant les « attitudes hyper diasporiques de certaines mouvances, nombreux sont ceux qui avouaient leur foi en un projet de retour au « Yerkir ». À l’inverse, d’autres considéraient alors cette formation transnationale comme une entité politique à part entière, qui mériterait une reconnaissance des États.

On assistait de plus à un élargissement du terrain de contesta­tion. Les positions radicales ne se tournaient plus uniquement vers les partis tradi­tionnels, mais aussi vers l’ensemble du pouvoir communal et les partis politiques français [24]. Un autre phénomène, d’une importance croissante, surgissait : il s’agit de l’apparition, sur les scènes locales à forte présence arménienne, de candidats aux élections, dont la nomination octroierait certains droits à la communauté. Certains affirmaient que les faveurs politiques de la société majori­taire envers les Arméniens ne devaient plus être idéalisées, et assimilées aux marques d’une reconnaissance d’un droit à l’existence et en mettant l’accent sur ces politiques opportunistes.

Jusqu’à l’apparition de ce militantisme,   les organisations satellites des partis ont imposé des schémas culturels qui exprimaient une altérité immuable antérieure à la formation de la « grande diaspora ».

Une conscience de la dispersion se profilait en même temps que des prises de position critique sur la tactique des partis attachés à conserver leurs caractéristiques idéologiques comme le Dachnaktsoutioun « incapable de faire une conjugaison efficace et riche entre les traditions politiques arméniennes, la réalité politique française et les cultures minoritaires qui font irruption dans la culture française » [25]. La mystification du passé autour de l’indépendance de l’Arménie, modèle de référence du patrimoine politique [26], aurait occulté les potentialités des Arméniens à concevoir dans un premier temps l’idée d’une nouvelle souveraineté du peuple, à quitter le statut de victime des Etats Nations pour imaginer un ancrage géopolitique au sein des bouleversements internationaux.

Néanmoins, les organisations annexes de ce parti ont aidé à maintenir des idéaux communau­taires. Nous parlerons ainsi moins d’un militantisme dachnak, que d’une présence dachnak dont le pouvoir aurait été de préserver la référence symbolique au sens inalié­nable du territoire ancestral : « le Yerkir ».

La plupart des intellectuels en France ayant traversé les événements de 1968 dénonceront l’aspect monolithique du champ arménien, le pouvoir antidémocratique des partis, mais surtout, ils éviteront de perdurer des pratiques d’exclusion : « les jeunes ne sont pas en rejet comme avant », nous affirme l’actuel responsable d’une association. De même, le terrorisme dévoilera, par le biais de la violence, les effets de satura­tion de ces crises internes.

Précisons toute l’importance de cette mouvance terroriste dans les luttes pour la reconnaissance du génocide par les instances internationales[27] qui vont par la suite s’accélérer. Il faut également pointer la reconstitution d’une “intellectualité” qui, à travers l’écriture, se propose à la fois d’affronter le désastre survenu, la question du non-dit et du déni et de redéfinir l’espace de la diaspora à travers un interdit de la mémoire : on verra apparaître en France et aux Etats-Unis, dès les années 1970, une abondante historiographie du génocide. Une floraison de travaux va s’attacher à mettre en évidence des principes d’explication, à réunir des documents inédits, compilation de documents officiels puisés dans les archives publiques, à publier des récits de témoins oculaires, missionnaires ou diplomates (Johannes Lepsius, 1918), à rassembler des sources primaires et secondaires, à prouver la préméditation à travers la mise en évidence de méthodes d’extermination qui utilisent les technologies dont elles disposent[28].

Ainsi, la question de la reconnaissance du génocide par les instances internationales, adoptée à l’unanimité le 29 mai 1998 à l’Assemblée nationale, où les députés ont voté une proposition de loi dont l’article unique du texte, louable par sa clarté et son style lapidaire, ne s’encombrait pas d’euphémismes douteux : “La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915”, a été une étape décisive dans la levée du processus de dénégation et de la “dynamique de l’impunité “[29].

Les événements survenus en Arménie : de nouvelles pratiques sociales entre centre et périphérie

La question du génocide n’est pas dissociable de la dynamique de “restructuration” de la diaspora apparue dans cette nouvelle relation Diaspora-Arménie avec l’avènement de l’Indépendance en 1991 et qui a été précédé d’une accumulation de contraintes écologiques (séisme de 1988) et géopolitiques dans cette région de la Transcaucasie. La question nationale a resurgi sous forme de revendications irrédentistes (conflit avec l’Azerbaïdjan portant sur l’enclave arménienne du Karabakh) qui a généré une paralysie économique et des déplacements importants de population.

Sans rentrer dans le détail de la situation actuelle en Arménie traversée de crises multiples[30] et sur laquelle nous travaillons à partir d’enquêtes de terrain, disons qu’un nouvel imaginaire national se met en place autour d’une idée. On assiste concrètement à de nouveaux échanges et à de  nouveaux mouvements de va-et-vient, à de nouvelles mobilités à distinguer d’un mouvement de retour définitif :entrepreneurs du développement, nouveaux investisseurs, aide humanitaire, nombreuses ONG, aide d’urgence, actions caritatives, missions évangéliques  de la diaspora.

Ces nouvelles relations n’illustrent plus une métaphore de la coupure comme du temps soviétique et ne traduisent pas nécessairement un nationalisme ethnique mais s’inscrivent dans plusieurs registres, à la fois dans un ordre mondialisé, dans un registre d’une histoire de la dispersion travaillée par des temporalités générationnelles, dans un registre également d’une géopolitique de minoritaire.

Ainsi à l’initiative de la conférence qui se déroula à Erevan en septembre 1999, et qui a rassemblé 1200 délégués de la diaspora venus des quatre coins du monde, on évoqua la nécessité d’une coordination des organisations politiques. Parmi elles, mentionnons le “Comité du 24 Avril” qui s’est constitué à l’occasion du 80e anniversaire du génocide et à l’initiative de l’Eglise. Ce regroupement vaste et représentatif de la communauté, de ses tendances et de ses sensibilités, s’est doté de structures juridiques en étroite collaboration avec l’Ambassade d’Arménie à Paris et se propose de dépasser les anciennes querelles. Ces organisations veulent rompre avec un cadre paternaliste pour œuvrer vers une représentativité démocratique de la diaspora en Arménie.

Il y a de toute évidence une demande de la diaspora pour s’impliquer dans cette étape de la reconstruction du pays qui la met en effet “à l’épreuve de l’indépendance”[31].

De nos jours, cette demande s’appuie sur de nouvelles exigences. Les souhaits s’orientent vers la reconnaissance d’un statut de sujet de diaspora en tant que participant actif à part entière d’une histoire collective et nationale. On voit bien se mettre en place des stratégies communautaires en diaspora qui ne se contentent plus de la seule constitution de “lieux de mémoire”[32]. Les communautés revendiquent tout autant de devenir des instances représentatives dans les contextes nationaux où elles se sont formées, qu’à projeter leur devenir à l’intérieur de l’espace d’une diaspora qui, depuis l’indépendance de l’Arménie, procède d’une intention d’inventer un espace du pouvoir politique avec un espace identitaire .

Les occasions pour la diaspora de manifester sa “présence structurante” auprès du nouvel Etat traversé de crises multiples,   en quête de repères sociaux, politiques et économiques sont de plus en plus fréquentes. Elles révèlent de nouvelles conceptions de l’appartenance, celles d’un pouvoir identitaire reconquis durant les étapes d’intégration sociale et de l’exil dans les anciennes sociétés dites d’accueil.

Le projet de la binationalité à travers la loi arménienne du 10 octobre 1995 relative à la nationalité, où s’affrontent deux projets politiques, l’un associant la diaspora arménienne au destin de la nouvelle République d’Arménie, et le second les en dissociant[33], rend compte de cette dimension active de l’appartenance. Cette délicate affaire de la double citoyenneté a été impulsée par la diaspora occidentale, notamment par les immigrés installés à Los Angeles et qui souhaiteraient participer aux élections en Arménie. Ce projet juridique en discussion au sein d’une commission en Arménie et qui semble aboutir, chargée de réexaminer le droit de la nationalité et la loi constitutionnelle en matière de double citoyenneté est tout à fait significatif pour la compréhension des enjeux à l’œuvre dans l’appartenance à une diaspora, puisqu’il pose la question essentielle de l’adéquation ou non d’une appartenance nationale citoyenne (droit du sol) avec un principe territorial d’appartenance identitaire.

En conclusion

Les divers moments politiques évoqués à partir du cas arménien doivent prolonger l’interrogation suivante sur les enjeux de l’auto-désignation : pourquoi certains groupes revendiquent-ils un statut d’existence en diaspora à tel moment de leur histoire de la dispersion ?

Précisons qu’il n’est pas uniquement question de rétablir des vérités ou faits historiques mais bien de travailler sur les représentations d’un sens collectif à travers le phénomène de diasporas en historicisant les représentations qu’un groupe se donne de lui-même à travers ses expériences de la domination: communauté ethnique, communauté religieuse, minorité nationale, diaspora.

 Dans le cas de mes enquêtes menées en France et dans d’autres contextes nationaux de la dispersion, l’appartenance à une diaspora procède d’un sentiment d’affiliation politique, d’une sorte de politisation de l’ethnicité liée à l’émergence d’une conscience de la dispersion qui ne doit pas être nécessairement confondue avec le nationalisme ethnique. Cette conscience renvoie à des formes de solidarité nouvelle,  et des capacités organisationnelles    (presse, associations cultuelles et culturelles, partis politiques) à partir d’anciennes conditions de la spoliation (territoriale, génocide, apatridie). Les divers moments politiques que nous avons évoqués  traduisent des sensibilités de minoritaires qui soumettent de nouveau des inscriptions dans le cours d’une Histoire officielle en défaut de reconnaissance et dénoncent  dans le temps long de l’exil, les dénis de l’histoire nationale tout en les reformulant grâce aux capacités inventives des diasporas qui élaborent des durées générationnelles et une pensée du retour.

C’est essentiellement en tant qu’espace de fiction actif[34] que nous avons voulu  saisir le phénomène des diasporas et qui croise dans notre cas une d’anthropologie de la violence moderne en même temps qu’une anthropologie de la nation  et une anthropologie de l’exil.

Résumé

À travers le cas arménien qui peut s’étendre à d’autres minorités, la question d’un imaginaire national de l’inabouti ou de l’inachevé, suite à des attentes nationales en attente de résolution politique ont engendré dans la dispersion, des langages de la répétition, des utopies nationales, de nouvelles formulations territoriales et d’appartenance, de nouvelles conceptions du lien religieux autour du lien nation et religion, de nouvelles relations entre le centre et la périphérie.

Dans cette communication, nous examinerons de manière chronologique, divers moments politiques qui ont contribué à susciter en France, la réactivation d’un éveil à une conscience nationale inaboutie. Cette conscience nationale inaboutie sera progressivement traduite comme la cause même du phénomène migratoire de grande ampleur, que certains chercheurs ont nommé la formation de la « Grande Diaspora du XX siècle »

De manière dialectique, nous voudrions démontrer que l’éveil à une conscience nationale inaboutie a provoqué certaines manifestations et revendications portées par des leaders de la cause. Cet éveil prend place dans un long processus de logiques du déni. En quelque sorte, de cette deuxième hypothèse ressort l’idée d’un travail générationnel, d’une sortie progressive du poids du traumatisme écrasant lié à l’événement catastrophique de 1915 dans la durée de l’exil et qui favorisera du côté des représentants politiques et des cadres sociaux de la mémoire, de nouvelles formulations de l’imaginaire national.


[1] Martine Hovanessian,”La notion de diaspora : usages et champ sémantique”, Journal des Anthropologues n° 72-73, 1998, p. 11-29.

[2] Martine Hovanessian« La notion de diaspora : les évolutions d’une conscience de la dispersion à travers l’exemple arménien » Actes du Colloque 2000 ans de diasporas, CRFJ_MIGRINTER_HUJI, février 2002, MSHS), Lisa Anteby, William Berthomière, Gabriel Sheffer (ed.), 2000 ans de diasporas, Rennes, : Presses Universitaire de Rennes, 2005, p.65-78

[3] Médam Alain, “ Diaspora/diasporas. Archétype et typologie ”, Revue Européenne des Migrations Internationales, vol.9, n°1, 1993.

[4] Arméniens et Grecs en diaspora. Approches comparatives, Ecole Française d’Athènes, 3-7 octobre 2001, (dir.) M.Bruneau, Hassiotis I, Hovanessian M, Mouradian C , Ecole Française d’Athènes. 2007Arméniens et Grecs en diaspora : approches comparatives. Actes du colloque européen et international organisé à l’Ecole française d’Athènes (4_7 octobre 2001). Edités par Michel Bruneau, Ioannis Hassiotis, Martine Hovanessian et Claire Mouradian, Ecole Française d’Athènes, Athènes 2007. 615p

[5] Intervention au colloque de l’ ISMM (Institut sur l’Islam et le Monde Musulman), EHESS (Paris) dans le cadre du Programme « La construction nationale palestinienne entre vie diasporique et formation de l’Etat », 26_27 janvier 2007.

[6] Mentionnons que les travaux d’Alain Médam sur les diasporas et la judéité en exil nous ont été très précieux.

[7] Aïda Boudjikanian-Keuroghlian applique le terme “Grande Diaspora” à la dispersion après le génocide, Histoire des Arméniens sous la direction de Gérard Dédéyan, Toulouse, Privat, 1986, p.625.

Le terme diaspora (spiurk) est un néologisme qui apparaît dans les écrits arméniens à la fin des années 1920 et pour la première fois dans la revue du Patriarcat de Jérusalem, Sion, périodique lancé en 1927 par le siège de l’Eglise apostolique, symbole de la personnalité nationale . Claire Mouradian, L’Arménie, Presses Universitaires de France, Coll.”Que sais-je” ?,n°851, Paris, 1995.

La nouveauté lexicale pour désigner la vie hors du territoire national est liée à une nouvelle géographie de la dispersion qui s’accompagne d’une modification radicale du profil social  et rompant avec une tradition diasporique formée d’élites intellectuelles et d’une bourgeoisie marchande.

La grande diaspora du XXe siècle est formée par les Arméniens de Turquie rescapés du génocide de 1915, en majorité des paysans anatoliens demeurés sur les terres ancestrales. Consécutive aux déportations massives, sa signification politique est évidente. Elle se caractérise par l’abandon sur la scène internationale de la question arménienne (1917-1923) qui n’a pas abouti à la création d’un Etat ou d’un foyer national

 

[8].Claire Mouradian “L’immigration des Arméniens de la diaspora vers la RSS d’Arménie, 1946-1962”, in Cahiers du Monde Russe et Soviétique, XX (1), janv-mars 1979, pp.79-110. Anahide Ter Minassian, La diaspora arménienne, sous la dir. de Michel Bruneau, Diasporas, Reclus, 1995, pp.24_41

 

[9].Claire Mouradian, De Staline à Gorbatchev, Histoire d’une république soviétique, l’Arménie, Paris, Ramsay, 1990, p.307. Le Comité d’Aide à l’Arménie (HOG) est fondé à Erevan en 1921 et dissous en 1937. Il s’agit de la première organisation chargée des relations entre la RSS d’Arménie et la diaspora arménienne à travers le monde (Iran, Grèce, Syrie-Liban, Bulgarie, Roumanie, Egypte, Grande-Bretagne, Allemagne, Etats-Unis, France).

 

[10] La constitution en France dès les débuts de l’immigration et jusqu’à nos jours, de partis politiques arméniens nés à la fin du xixème siècle dans l’Empire ottoman reste une des caractéristiques de la communauté, bien que leurs activités soient en déclin. On distingue aujourd’hui encore le Parti hentchak, social démocrate, fondé à Genève en 1887 et le Parti conservateur ramkavar , fondé à Constantinople en 1908 par des libéraux apparte­nant à la bourgeoisie d’affaires de cette ville, le Parti dachnak (Fédération révolutionnaire arménienne), créé à Tiflis en Géorgie en 1890, rattaché à la IIe Internationale dès 1907 et qui reste le parti le plus influent en diaspora.

 

[11] Voir Martine Hovanessian, Le lien communautaire. Trois générations d’Arméniens, Armand Colin, 1992. Réédition l’Harmattan, 1997 notamment le chapitre La tentation du retour, pp.110_112

 

[12] C. Mouradian et M. Ferro, « L’Arménie soviétique (1920-1980) », in Histoire des Arméniens, op. cit., p. 543.

[13]En 1926, le B.I.T (Bureau International du Travail) organise un plan de recrutement d’une main-d’œuvre arménienne, notamment en Grèce et en Transcaucasie pour les pays demandeurs de travailleurs dont la France.  La majorité des immigrés arrive dès 1923 par bateaux entiers à Marseille , en provenance du plateau d’Anatolie et de la plaine cilicienne.

L’axe Marseille-Paris demeure à cette époque « la grande ligne de l’Arménie réfugiée »

 

[14]Quelques mensuels en langue française surgissent dont l’existence sera de courte durée et qui dans une perspective anti-impérialiste, défendent la réunification et l’indépendance de l’Arménie.Martine Hovanessian, Le lien communautaire,op.cit.

 

[15] William Safran, « Les diasporas ethniques dans les sociétés industrielles ” in Actes du Colloque international Les étrangers dans la ville, Université de Haute-Bretagne, Rennes, CERIEM, 1988.

[16] Martine Hovanessian, Le lien communautaire.., op.cit.

 

[17] Michel de Certeau, L’ école de la diversité, Annales ESC, juillet-août, p.803

 

[18]Henri Giordan, Les minorités en Europe, Kimé,1992.

[19] Etienne Tassin, « Identités nationales et citoyenneté politique », Esprit n°1, 1994, pp.97_109

 

[20] On lisait, en décembre 1982, dans Résistance (ancienne revue arméno-parisienne), à propos de l’attentat d’Orly commis en juillet 1982 par l’A.S.A.L.A. : « L’histoire se répète. Les Arméniens en savent quelque chose, eux qui ont connu une succession d’infortunes tout au long de leur histoire : massacres de 1894-1896, 1909 massacres d’Adana, génocide de 1915, pour ne citer que les épisodes les plus connus et pour céder une fois encore aux leitmotifs traditionnels. « Ce qui est incompris fait retour » : individu, parti, armée, nation, nul n’échappe à la sentence freudienne et, en histoire, cela se traduit toujours par une débâcle militaire ou une défaite politique. Cela peut aller encore plus loin, parce que « des fous » auront prêté le flanc aux provocations et aux récupérations de tous ordres, en se lançant dans des pratiques et des déclarations irresponsables ».

[21] Interview d’un sujet de troisième génération né en France en 1951.

[22] « Le Nouveau Paysage intérieur », fragment du monde arménien 1975-1985. Résu­més des communi­cations, exposées lors de deux journées d’études interdiscipli­naires tenues à Paris le 17 et 18 mai 1985.

[23] A partir de 1981, un ensemble d’articles sur les Arméniens paraît dans les quoti­diens (Le Monde, Libération, Le Figaro, Le Matin) : « ¥tre Arménien en France » (Le Monde, 6 mars 1981). « L’étrange destin des Armé­niens », « Du génocide au terrorisme » (Le Monde, 29 octobre 1982), « La quatrième génération de la diaspora » (Le Monde, 13-14 avril 1986). La presse retrace le cheminement de ces « exilés de la mémoire » (Le Matin, avril 1983), de ces « Armé­niens qui n’ont pas oublié » (Le Figaro, 14 janvier 1981).

[24] Ainsi, le Parti dachnaktsagan a entretenu des liens avec le Parti socia­liste en France. Cet engagement est un phénomène nouveau dans l’histoire politique de cette migration, même si les actions de la FRA couvrent toujours le domaine arménien.

 

[25] Interview d’un ancien militant dachnak de 1969 à 1974, né en 1951.

[26] Ainsi, peut-on lire dans un des premiers numéros de Culture Arménienne en 1976 le témoignage suivant : « Un Arménien d’Alfortville raconte : les membres qui ont la carte du parti… une quarantaine environ dans la région sud de Paris… travaillent dans le vide. Faire quoi, vouloir quoi, alors que, depuis cinquante ans, ils deman­dent la même chose. Tous les ans, ils commémorent le 28 mai (date anniversaire de l’éphémère République indépendante d’Arménie en 1918). Ce qui est commun à toutes ces organisations, c’est qu’elles ont vieilli, que les dirigeants n’ont pas été remplacés par des jeunes, et que les discours sont toujours les mêmes ».

[27]On peut retenir quelques tentatives marquantes pour inscrire dans le cours de l’histoire officielle, la vérité génocidaire comme crime d’Etat et comme projet de destruction planifié et prémédité visant l’intégralité du groupe arménien. Le 16 avril 1984, le Tribunal permanent des peuples composé de douze personnalités choisies dans le monde et connues pour le souci humanitaire qu’expriment leurs oeuvres, se donnent pour tâche de “rendre justice aux peuples qui, selon le droit international et notamment le statut de la Cour internationale, sont privés d’accès aux juridictions interétatiques ou même aux Etats victimes d’actes illicites commis par d’autres Etats si ceux-ci se dérobent à leur devoir d’en répondre devant les juridictions compétentes”(Le Crime de silence, Le Génocide des Arméniens, Tribunal permanent des peuples, Paris, Flammarion, 1984); puis d’autres instances internationales comme la Sous-Commission des droits de l’Homme de l’ONU en août 1985, le Parlement européen en juin 1987 et une déclaration écrite de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 24 avril 1998 contribueront à affirmer l’urgence éthique de la reconnaissance.

 

[28] Yves Ternon, Du négationnisme, mémoire et tabou, Desclée de Brouwer, 1999

 

[29] Vahank. N. Dadrian Histoire du génocide arménien ,Paris, Stock, 1996

 

[30] Programme scientifique MAE « Émigration, circulations et réseaux migratoires dans un contexte de transition politique interminable .  Le cas de l’Arménie » Dans le contexte de l’immense déstabilisation politique, économique et sociale des Etats de la CEI, suite à l’effondrement de l’URSS, la problématique migratoire nécessite de revenir sur les causes profondes du délitement dans chaque domaine de l’activité sociale.  La crise des repères nationaux en Transcaucasie touche à la fois les secteurs politiques, économiques et « culturels » notamment avec le retour de l’ethnico-religieux et la montée des sectes.

 

 La question migratoire nous conduit à considérer des formes d’insécurité sociales croissantes : conflits interethniques et guerre latente (malgré le cessez-le-feu au Karabagh), absence de travail, fermeture des usines, disqualification des intellectuels, dépeuplement des campagnes, pressions sociales intenses comme par exemple l’obligation du service militaire de deux ans pour les garçons, les rapports de genre  avec une violence domestique accrue, la corruption grandissante notamment dans le système du soin, demande d’assistanat de plus en plus importante de la population auprès des ONG.

 

[31] Expression empruntée à Claire Mouradian, De Staline à Gorbatchev, Histoire d’une république soviétique, l’Arménie,op.cit. p 122.

 

[32] Martine Hovanessian, “La diaspora arménienne : de l’exil commémoré à l’appartenance active “, Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n°30, juin-décembre 2000, p.83-109

[33] Méliné Mavian, “La loi arménienne du 10 octobre 1995 relative à la nationalité” in Cahiers d’Etudes – 2000, Centre d’Orientation Pour Etudiants Arméniens, p.6-25

 

[34] Martine Hovanessian « Diasporas et identités collectives », in Hommes et Migrations, n°1265, janvier-février 2007, p. 8-21. Coordinatrice du dossier Diaspora arménienne et territorialités